De l’informatique et des pirates

On peut éprouver la nostalgie d’un paradis perdu. On peut considérer, tel l’archétype du râleur compulsif si répandu dans l’Hexagone, que « c’était mieux avant ». On peut regretter de n’être plus, en France, en 2017, au bon endroit au bon moment. On peut déplorer que les médailles du progrès technique recèlent un revers.

Cependant, force est d’admettre que la Toile apporte à l’homme avisé un accès exponentiel à la culture et au savoir. Plus globalement, il n’est plus guère d’activités humaines qui ne dépendent d’une gestion informatique. J’ai souvenir d’une anecdote vécue riche d’enseignements sur cette dépendance. Dans l’espace duty free d’un grand aéroport international, un amateur éclairé de whisky écossais trouve bouteille à son goût. Le prix du breuvage subtilement tourbé brille sur son étiquette. L’argent pour s’en acquitter sonne au fond de sa poche. Ne reste plus qu’à procéder à l’échange. L’homme salive et s’avance, tend son achat, sourit à la caissière. Laquelle lui renvoie une moue désolée. «Je ne puis établir la transaction », explique-t-elle avec dépit. « Le terminal de paiement est en panne », ajoute-t-elle avec des yeux implorants le pardon. Et voilà le progrès ! Que la machine défaille et le commerce s’arrête. Et la soif s’installe. Et le malheur envahit tout. Surréaliste.

 

Ces derniers jours, des pirates que la modernité nomme hackers ont injecté un virus paralysant dans des milliers d’ordinateurs. Des institutions, des entreprises et pire, des particuliers, ont été infestés. Quel objectif poursuivent ces misérables ? Un racket mondial. Ils exigeaient – ces paltoquets de bas étage - une rançon en échange d’un retour aléatoire à la normale. Rien que le concept criminel apparaît hallucinant. Avec quelle confiance peut-on payer, par anticipation, un gangster dans l’espoir qu’il honorera en retour sa promesse de restaurer le système ?

 

Nous sommes nombreux à ignorer comment on construit un ordinateur et comment on le détruit. Ni même, et c’est plus fâcheux, comment on le préserve ou le répare. Pourquoi devrait-on s’intéresser à ce vulgaire outil de travail (et de divertissement) qui n’a pas même le charme d’un stylo plume au capuchon couvert d’une blanche étoile Les utilisateurs, dans leur immense majorité, n’entendent rien aux technologies et se refusent à enfiler la blouse blanche du professeurs Nimbus pour ausculter leur computer. On les comprend.

 

Non, le plus étonnant dans cette terrifiante affaire (plus ou moins résolue par un geek boutonneux d’une vingtaine de printemps - rythmés par des logiciels toujours plus performants - et non pas par l’armada d’experts en cyber-dysfonctionnements) c’est l’absence de réponse gouvernementale. Face à une telle agression, le citoyen attend que, toutes affaires cessantes, l’état pourchasse les coupables, les appréhende et les embastille pour une trentaine d’années. Et qu’il déclare solennellement que de tels méfaits sont si scandaleux qu’ils méritent une punition exemplaire, genre la privation à vie de smartphone. Au lieu de cela, avec un fatalisme incongru, les autorités, et même les victimes, affichent une résignation coupable. Comme si virus et bugs étaient consubstantiels d’internet. Une sorte de rançon du progrès.

Il est vrai que l’inénarrable Steve Jobs nous avait prévenu : « C’est plus marrant d’être un pirate que de s’engager dans la marine ». Et vous trouvez ça drôle...

Mon chien préfère la réplique de Michel Serrault dans Nelly et Monsieur Arnaud de Claude Sautet en 1995 : « les ordinateurs ! beaucoup de mémoire, aucun souvenir ».